Pierre Morel

Journal de bord réflexif, intime, et politique

Bonnes pratiques pour publier notre travail de photojournaliste sur les réseaux sociaux

Ce 1er mai, alors que de nombreux photojournalistes couvrent les manifestations et que sur les réseaux sociaux tournent depuis plusieurs semaines de très nombreuses images fixes ou vidéos des évènements politiques en cours, je me suis fait une petite liste de bonnes pratiques à adopter en tant que professionnel de l’image (mais aussi en tant que citoyen) quand on partage une image fixe ou animée sur internet. Cette liste n’est pas exhaustive et elle est élaborée suite aux discussions et témoignages avec de nombreux confrères et consœurs.

The Color Run 2018 à Paris entre l’hotel de ville et le parvis de la tour eiffel le dimanche 15 avril 2018 en présence de 20 000 participants.

Je pense qu’il est important d’avoir une « guideline » ou ligne de conduite, car la finalité de notre pratique est l’information, de pouvoir rapporter des faits sourcables qui seront mis en débat par la société. On ne fait pas de l’illustration ou uniquement de la belle image symbolique.

On n’apprend pas à l’école à utiliser les réseaux sociaux et on se retrouve souvent dépassés par la vie d’une image sur un réseau, notamment en cas de « buzz/ramdam/viralité ». On fait tous régulièrement des erreurs. J’en ai fais encore une cette semaine en publiant sur mon profil un contenu confidentiel. Mais comme certains journalistes ont une audience individuelle similaire ou même supérieure à des rédactions nationales. Nous sommes devenus chacun une rédaction indépendante. Il faut donc se protéger à la source : notamment, contre les problèmes de détournements et ceux de « droits à l’image ».

1/ Journalistiquement :

  • LA LÉGENDE : Quand on publie une image, la légende doit toujours l’accompagner. À minima, elle doit répondre à ces 5 questions : Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Pourquoi ? (les Five W’s (« cinq W », pour « Who, What, Where, When, Why – ? »).
    Elle donne du contexte et explique de quoi on parle. Elle doit permettre d’éviter les contresens et les mauvaises interprétations et surtout elle ancre votre image dans une réalité. D’où l’importance d’être précis sur le terrain : prendre des notes, essayer d’avoir le nom ou la fonction des gens qui sont nos sujets, savoir où on se trouve. Ne mettez ce que vous savez dans la légende. Ne pas mettre ce que l’on suppose et ne pas abuser du conditionnel.
    N. B. Dans le cas d’une image à retentissement global, traduisez aussi votre légende en anglais si vous ne le faites pas déjà.
  • ATTENTION AUX JUGEMENTS DE VALEUR : Il est courant, entre nous, de mettre des jugements de valeur ou des interprétations personnelles sur les images que l’on partage. Nous partageons souvent les indignations de ce que l’on photographie ou nous donnons une interprétation poétique sur ce que l’on publie. Mais si nous avons le droit d’avoir des idées, il devient compliqué de les afficher publiquement sur les réseaux sociaux en face de nos images de photojournalistes tant elles vont polariser la lecture et l’analyse de celle-ci. Je pense qu’il est préférable de s’en tenir au fait et à la légende en premier lieu ou alors de bien séparer les deux. Une phrase pour le ressenti personnel exprimé en tant que tel, une autre pour la légende. Faisons confiance aux citoyens pour faire eux-mêmes leurs analyses.
  • LIENS EN CONTEXTE : Il peut être utile de joindre à son image un ou plusieurs liens qui parlent de la situation de l’image : lien vers un portfolio ou reportage avec plus d’images, article de presse sur le sujet, autres témoignages sur les réseaux sociaux, etc. Cela donne du contexte et de la force aussi à votre image en l’inscrivant là encore dans une réalité. C’est aussi ce qui permet de faire varier et donc croiser les sources, base indispensable du journalisme.
  • LA SOURCE : Il est important de vous identifier en tant que professionnel et définir le contexte de votre travail. Cela peut s’ajouter à la légende ou dans le crédit : votre nom, éventuellement votre agence, mais aussi la rédaction pour laquelle vous êtes en commande ou le projet sur lequel vous travailler.. Cela légitime votre position et permet là encore au spectateur de savoir qui fait l’image et pourquoi.
  • CORRIGER : Certains réseaux sociaux permettent d’éditer les publications, ne pas hésiter à utiliser cette option et à signaler en commentaire votre modification. On peut avoir de nouvelles informations, des réactions, des erreurs qu’il faut pouvoir corriger rapidement. On peut aussi répondre aux personnes en commentaires. Ce n’est pas grave de se tromper, c’est grave de ne pas corriger.
  • TEMPORISER : Certaines images ont un potentiel symbolique fort, voir explosif. Elles peuvent « déchainer les passions ». On peut être tenté de les publier très rapidement après la prise de vue, sur le coup de la réaction, mais parfois il faut savoir attendre, ou alors en parler à d’autres. Ne pas hésiter à demander l’avis d’autres confrères, de rédacteurs, ou des journaux avec lesquels vous travaillez pour savoir ce qu’il convient de faire. On peut se retrouver dépassé par ce que l’on poste et il est normal de partager ses questionnements avec les autres. De même, dans certains cas, notamment les reportages en lieux fermés ou en immersion, il est bien de prévenir en amont nos sujets ou d’en discuter avec eux.
  • IMAGES EN SERIE : C’est souvent une image et pas une série d’images qui suscite la réaction. Mais cela ne doit pas nous empêcher de continuer à travailler et publier des séries d’images. Notre médium est limité par son format et il fait souvent sens dans le cadre d’un reportage complet. On publie souvent seul nos images fortes, mais on gagnerait aussi à joindre toujours le reportage complet : pour donner du contexte, pour faire de l’information tout simplement.

2/ Sur le plan professionnel :

Au-delà de sa mission d’information, l’image que vous postez sur les réseaux sociaux est aussi votre production professionnelle et à ce titre il y a quelques moyens de la valoriser.

  • AVOIR SON RÉSEAU DE DIFFUSION : si votre image devient virale et que vous êtes diffusés, ne pas hésiter à la mettre rapidement dans votre réseau de diffusion (agence) pour les ventes. Préparer aussi une HD bien légendé livrable rapidement.
  • VENDRE : Si vous n’êtes pas diffusés ou si certaines rédactions veulent l’image en direct, vous avez le droit et le devoir de la vendre. Ce n’est pas un mal. Si vous ne connaissez pas les tarifs, n’hésitez vraiment pas à demander à d’autres confrères. En cas de scoop, faites vous aider. Ne dites pas oui dans la précipitation et surtout faites attention si on vous demande une exclusivité. Elle doit s’accompagner de contreparties pour vous. Vous pouvez la limiter uniquement à un pays par exemple.
  • CONTACT : Il faut pouvoir vous contacter : vos profils de réseaux sociaux doivent mentionner à minima votre site web où se trouve votre mail et téléphone en clair. Cela vaut pour un achat, mais aussi pour des rédactions qui voudraient avoir des précisions sur l’image.
  • DROITS AUTEURS : Il est courant qu’une image virale soit reprise sans rémunérations dans le monde entier ou sur des structures installées comme des chaines de télévision : une fois le « buzz » passé, vous pouvez récupérer des droits directs et indirects via des sociétés d’auteurs par exemple. La SAIF ou la SCAM en France vous permettent cela. Vous les contactez et ils vont solliciter les structures qui ont utilisé les images pour récupérer un peu d’argent.

En rédigeant cette note, je me rends compte que tout ce travail est celui qui incombe traditionnellement aux rédactions : hors, aujourd’hui, les photojournalistes travaillent majoritairement en dehors des rédactions en indépendant, pire, tout citoyen devenu lui-même média est en mesure de témoigner et de produire des documents à vocation journalistique.

D’une part, je trouve que c’est fabuleux, car on élargit le champ des témoignages possibles et que ces quelques règles de bonnes conduites sont à mon avis simple à mettre en place pour tout un chacun qui poste des images sur les réseaux (ou qui à l’inverse est spectateur vigilant de ce qu’il voit).
D’autre part, en tant que professionnel je me dis que les rédactions ou les structures collectives ont un rôle à prendre pour ne pas laisser les photographes seuls avec leurs images et leurs diffusions. Elles pourraient être plus réactifs et avoir une stratégie des réseaux sociaux en lien avec leurs photographes. Car en postant une image sur le web, c’est ma responsabilité individuelle que j’engage et quand une image nous échappe, quand elle porte à polémique, quand sa symbolique est trop forte, c’est l’individu photographe qui doit supporter et gérer tout ça.
En cas de buzz ça peut vite être très compliqué, voire angoissant et dangereux quand on est pas suffisamment formé.
À nous donc de faire attention, de temporiser parfois, de mettre les chances de notre coté, mais aussi à nous de jouer ensemble avec nos structures, agences, collectifs ou rédactions. Parfois peut être il vaut que « la parole d’une image » soit portée par un groupe ou par un média que par notre profil facebook, twitter ou instagram.

Mes questions :

1/ Si vous avez d’autres bonnes pratiques, liens, ou retours d’expériences, n’hésitez pas à m’en faire qu’on enrichisse la liste.

2/ savez vous si les rédactions ont des chartes pour leur travail avec les photographes et l’utilisation des réseaux sociaux ? Quels sont vos retours ? Les éditeurs photos, qu’en pensez-vous ?

(note publiée initialement le 1er mai 2016 ici : https://www.facebook.com/notes/pierre-morel/bonnes-pratiques-pour-publier-notre-travail-de-photojournaliste-sur-les-r%C3%A9seaux-/10153750458918759/ )


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