Pierre Morel

Journal de bord réflexif, intime, et politique

Plateforme et gouvernance, critique sur ces start-ups de l’économie du partage et de la valeur

Petite réflexion du lundi matin. Ce samedi, j’étais à la journée ouverte de l’excellent OuiShare Fest 2016, nom du festival de l’association éponyme qui consiste à réfléchir au futur de l’économie et notamment à celle collaborative, au monde des réseaux et du partage. Lors d’une table ronde sur “Trouver ma place dans ce monde en transition”, un salarié de la plateforme Hopwork, qui met en relations des prestataires freelances à des clients, a évoqué tous les atouts de son entreprise : tarifs corrects pour les freelances majoritairement basés en France, sécurisation du paiement, mis à dispositions d’une assurance pro, système de recommandation et de confiance. À un moment il dit “on aimerait que nos utilisateurs aient le sentiment que Hopwork leur appartient”.
Et c’est là que j’aurais aimé intervenir, mais je n’ai pas pu poser ma question faute de temps.

De l’entreprise capitaliste

Alors, je développe ici. Le monde merveilleux des start-ups et des plateformes de mise en relation fait croire que son business est cool, qu’il libère le travail et les contraintes des entreprises oldschool et qu’on va changer le monde tous ensemble.
Ça, c’est le discours, mais c’est aussi la pratique : effectivement, on peut gagner des sous sans beaucoup de qualifications avec Airbnb, LeBonCoin, Blablacar ou Uber.
On peut faire des rencontres intéressantes, avoir des bons petits plats avec Take Eat Easy, cuisiné bio et livré de manière écolo.
On peut échanger et organiser des manifestations sur Facebook, se cultiver en image sur Instagram.
Tout semble bien dans le meilleur des Nouveaux Mondes, mais il y a un paramètre qui n’est pas à mon sens suffisamment porté dans le débat public : la propriété des plateformes, leur structure entrepreneuriale et leur réelle finalité.
La majorité d’entre elles sont en effet des entreprises capitalistiques tout à fait traditionnelles, qui doivent rendre des comptes réguliers à des investisseurs et dont la finalité reste avant tout le profit, et encore mieux une position de monopole. Il faut être le premier sur son marché avant les autres. Je n’ai aucun exemple dans ces sociétés là, de mécanismes de contrôle décisionnaire des utilisateurs (clients ou travailleurs) sur la marche de la société. En clair, les chauffeurs Uber n’ont aucun moyen légal de protester contre la baisse des prix Uber, les hôtes Airbnb aucun moyen de fixer la commission du site, les photographes facebook aucun moyen de protester contre la censure d’une image par la plateforme.

Alors, l’ensemble des acteurs répond que le client est roi, que si la plateforme ne joue pas avec ses utilisateurs, elle les perdra. Ils iront voir ailleurs. C’est un peu vrai, mais c’est bien insuffisant comme réponse. Ces sociétés lèvent des millions, changent des législations, modifient des emplois, et ont un vrai pouvoir aidé par un discours positif sur leur pratique : elles disruptent, modifient les règles du jeu, innovent. Mais jamais elles ne changent fondamentalement la manière de faire de l’économie ou la manière de penser la démocratie, car elles n’intègrent pas en elle une gouvernance partagée ou des mécanismes de contrôle par les utilisateurs. Elles ne font que de la démocratie participative molle et non coercitive.

Donc non, Hopwork n’appartient pas à ses utilisateurs, Hopwork appartient à ses fondateurs et ses actionnaires, qui un jour ou l’autre demanderont des comptes et seront en mesure de changer dans leur sens les règles du jeu. Ils pourront aussi faire faillite sans que l’on sache pourquoi ou être racheté par un plus gros sans qu’on puisse dire quelque chose (cf Captain Train récemment). Si Hopwork voulait appartenir à ses utilisateurs, elle leur permettrait d’élire des représentants du collège “utilisateurs” qui pourrait siéger au CA de Hopwork. Si les plateformes de la nouvelle économie voulaient être cools, elles mettraient en place d’elles-mêmes des instances décisionnaires et des comités de contrôle en leur sein où siègeraient des représentants des utilisateurs et où elles organiseraient des votes sur des projets stratégiques ouverts à tous leurs utilisateurs. Si les plateformes voulaient être cools, elles pourraient être transparentes sur leur budget, sur leur capital, sur leur politique RSE et sur les salaires qu’elles versent à leurs équipes.

Bref, elles pourraient faire de l’innovation sociale bien avant l’heure ou bien avant que le législateur le lui impose. Car finalement, ce que j’évoque, ce n’est ni plus ni moins ce qui existe dans les entreprises de l’Ancien Monde où les syndicats et les salariés ont un pouvoir de contrôle (pas total certes), sur la marche de l’entreprise et sur le bienêtre au travail.

La troisième voie ?

Enfin, dans tout ça, il y a une troisième voie qui n’est pas nouvelle, mais qui permet une gouvernance et un contrôle partagé de l’entreprise ou du projet. Ce sont les coopératives ou les structures qui s’inscrivent dans l’économie sociale et solidaire (comme les associations). Ce n’est pas rien en terme de poid économiques et d’emploi, notamment en France. Les coopératives (sous forme de SCOP ou de SCIC), permettent à différents acteurs (salariés, fondateurs, investisseurs, pouvoir public) de participer à un projet, et de l’élaborer vraiment ensemble par et pour les utilisateurs (in extenso les citoyens) sur le principe, une personne=1 voix. Je ne rentrerais par dans le détail des fonctionnements et être en coopérative n’évite pas toujours des problèmes internes ou des difficultés économiques, mais au moins l’outil de production, l’outil “entreprise” appartient à tous ses membres, à tous ceux qui en sont partie prenante. C’est remettre de l’humain dans l’entreprise et remettre de la démocratie dans l’économie. C’est, pour moi, c’est futur de l’économie, c’est un futur moral et légitime qui ne se pavane pas dans le discours super cool du monde des start-ups et des plateformes qui ne font que continuer une oeuvre libérale et qui capte la valeur sans honte et sans transparence. Elles sont peut être plus efficientes, mais elles ne nous appartiennent pas.

Il y a des structures et des plateformes qui donnent des droits à leurs freelances, qui tentent des les accompagner collectivement (Coopaname & SmartFr, CA Presse), il y a des salariés qui reprennent en mains leurs entreprises (LIP). Ce sont ces modèles qu’on doit mettre en avant. Car ils sont fondamentalement différents.

Alors, faisons bien attention et utilisons en connaissance de cause. Je suis moi même grand utilisateur d’uber, de take eat easy et d’airbnb mais je tache de plus en plus de faire attention à ce qui cache derrière et quelles alternatives je peux avoir. Après le ‪#‎greenwashing‬, on est peut-être en train de subir du ‪#‎socialwashing‬ ou du ‪#‎neweconomywashing‬.

Quelques liens et projets coopératifs :

Un point de vue de Marie &Julien : http://mariejulien.com/…/Startups-de-merde%2C-vous-devriez-…
 OuiShare : http://ouishare.net/fr

 Des CAE qui replacent le freelance au coeur du projet : 
 http://www.coopaname.coop/
 http://smartfr.fr/
 http://www.capresse.fr/

Covoiturage libre : http://www.covoiturage-libre.fr/
Les SCOP : http://www.les-scop.coop/sites/fr/
Enercoop : http://www.enercoop.fr/
Biocoop : http://www.biocoop.fr/
La Louve : http://www.lalouve.net/
La Nef : https://www.lanef.com/


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *