Pierre Morel

Journal de bord réflexif, intime, et politique

Lettre à Camille

Langeac, 22 mars 2034
Les premiers bourgeons sous le bleu frais du climat apaisé

Camille,

Que ce fut délicieux la sinuosité de ce séjour avec toi il y a trois semaines. Je continue mon voyage en Haute-Loire où je m’offre la possibilité de te correspondre à la sortie de l’hiver.

Je te remercie d’être en mesure de recevoir cette lettre, et d’avoir fait ton apparition dans mon espace intérieur, car j’imaginais ta rencontre avant même qu’elle se produise. J’espère que mes mots ne te troubleront pas négativement.

Si j’utilise parfois un « nous » ou un « on », ce n’est pas pour exprimer une projection obligeant ton désir ou ton autonomie, mais plutôt pour entrevoir des portes, non exclusives, où l’on pourrait s’aventurer en sécurité.

Penses-tu, toi aussi, que nos zones de libertés se cofondent enfin dans une fluidité commune, ce chevauchement de nos cadres où se situe la perspective d’un archipel d’amour ?

« elles restent douloureuses ces dernières années de changements politiques et sociaux », m’as-tu confié sur le retour du lac.

Et je te crois.

Il fut laborieux, mon chemin de la compréhension de mes privilèges invisibles, qui m’empêchaient d’établir une connivence équitable avec celles et ceux que j’aime.

Oui, soyons gré et reconnaissants du travail de ces artistes de la lutte pour nous avoir permis par leur saine et essentielle radicalité d’être plus réflexif de nous-mêmes et d’avoir porté des lois de l’égalité et de l’aldélphité.

Je suis serein que nous disposions tous deux d’un revenu d’existence, inconditionnel, d’un travail dont on a réduit l’incertitude, et d’un foyer à soi digne et confortable.

Nourri d’une justice sociale et d’une abolition des passeports.

Je suis rassuré de savoir que notre communauté a réorganisé et collectivisé notre solidarité, notamment auprès de nos malades. Qu’on écoute et respecte nos corps, et particulièrement le tien.

Nos familles et amis ont trouvé, dans notre production culturelle récente, la possibilité d’accompagner et de comprendre nos orientations.

Nous avons toutes et tous endossé d’innovantes mythologies et d’inédits regards sur nous-mêmes.

Tu m’as raconté comment la justice transformative fonctionnait bien aujourd’hui, grâce aux moyens déployés, et pourquoi dans notre société débarrassée des violences de genre et de leurs conséquences, cela nous avait permis d’aller de l’avant dans notre capacité à vivre ensemble.

Voilà qu’enfin, tu peux explorer l’espace public de la même manière que moi, sans peur et sans reproche.

Nous bénéficions d’un monde qui évolue à la vitesse des plus lents, nous nous gouvernons à partir de nos besoins sobres d’existences, cela nous sort de l’urgence et de la précipitation à jouir de la planète et de ses vivants.

De la passion et de la fureur.

Penses-tu toutefois que nous ayons réussi à nous soustraire du marché de la rencontre ?

J’espère que nous sommes au seuil de suffisamment d’égalité pour énoncer en total consentement notre enthousiasme à nous rapprocher l’un de l’autre.

À faire dialoguer nos souverainetés, nos désirs, nos érotismes ou nos impératifs. À pouvoir s’offrir vulnérable.

Serais-tu d’accord de se demander régulièrement, si ce n’est toujours, la question du consentement à être dépositaire de ce lien ?

Je crois, de toute mon existence, je n’ai cessé de priser cette idée de la relation comme le ferment possible d’une émancipation, d’une liberté, d’une audace.

Camille, s’il m’est une certitude, c’est de savoir que mes sentiments sont les plus vibrants lorsque je découvre que tu te chéris, que tu ne te renies pas, et que l’amour que tu portes à ta personne peut t’apporter puissance, joie ou mélancolie.

Je ne souhaite qu’agir comme un des moteurs de cette sublimation. Nous n’avons pas de raisons de nous abandonner ou de nous perdre l’un à l’autre. L’un pour l’autre.

Nos existences sont une et indivisibles.

Je me satisfais de la compersion que j’éprouve à ton égard. Les liens d’amours et d’intimité que tu entretiens avec celles et ceux qui consolident ton archipel ne me provoquent aucune souffrance ou jalousie irrémédiable. Au contraire, cela manifeste d’une vivacité de l’être et du bonheur qu’on peut se donner. On se renforce. Je te témoigne encore du plein de tendresses quand je pense à l’attention que vous portez ensemble avec Sasha et Andréa dans l’éducation de Swann.

Je te décevrais probablement dans mes nuances d’énergie et de rigueur, mais j’ai l’espoir que nos charges mentales différenciées se délaissent peu à peu des peurs et des injonctions de nos mémoires.

Il est 20h17. Et je dois me régaler.

Alors Camille, depuis le cœur des émotions, je clame qu’il y a de l’amour entre nous.

Et que c’est bien ce qui me réjouit d’un agréable frisson, c’est savoureux.

Pierre


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *