Ce billet est le premier– d’une série de 5 – sur l’avenir du photojournalisme. Voir aussi, « Historiquement, les photojournalistes se sont organisés en dehors des rédactions » (2/5), « Le photojournalisme, un travail d’auteur qui se valorise » et « En position de force face aux nouvelles écritures : du photojournaliste au journaliste visuel » (3/5) et « Quels modèles pour financer et diffuser le photojournalisme ? » (4/5) et la conclusion « Des questions essentielles à résoudre pour cette nouvelle ère du photojournalisme » (5/5).
« Personal branding », cette expression anglophone est récemment revenue à la mode dans les réflexions autour de l’évolution du métier de journaliste. Résumé simplement, il s’agirait pour les journalistes, débarrassés des journaux en faillite, de se lancer en indépendants (ou non) et de développer leur « marque personnelle », principalement via internet, pour se vendre et continuer à faire de l’information. Cette hypothèse en a fait sourire plus d’un car c’est exactement ce que nous autres pigistes, textes et/ou photos, faisons depuis des dizaines d’années de façon plus ou moins précaire : en permanence on se vend, on se donne de la visibilité, on se crée un réseau, on monte des projets, on se gère comme une entreprise…
Alors, si le modèle du « personal branding » est réellement l’avenir, nous serions donc très bien placé et aurions tout à y gagner ? C’est ce que je pense.
Il m’est ainsi venu l’idée de ce billet en 5 parties qui défend la thèse selon laquelle les pigistes rédacteurs et les photojournalistes sont dans la position qui offre le plus de perspectives dans la révolution des médias aujourd’hui. C’est à eux de montrer les voies à emprunter. La forme de mon propos a évoluée au fil des recherches et de l’actualité. Il s’agirait en quelque sorte d’une synthèse des liens que je découvre depuis quelques mois et de certains ouvrages qui m’ont marqué comme « Photojournalisme à la croisée des chemins ». ((« Photojournalisme, à la croisée des chemins« , co-édition EMI-CFD/Marval, 213 pages, 2005. Mention spéciale du jury du prix Nadar en 2005, cet ouvrage a été réalisé par Olivia Colo, Wilfrid Estève et Mat Jacob. ISBN 2862343757)) Je précise, à toute fin utile, que même si ce billet se veut généraliste sur la profession de photojournaliste, il n’aborde qu’un point de vue purement français et ne prend pas en compte les initiatives des rédacteurs qui eux aussi on surement plein de choses optimistes à proposer.
Le contexte
L’écosystème médiatique vit une révolution sans précédent amorcée bien avant l’avènement du numérique : la presse écrite, principale victime, voit son audience réduire d’année en année et connait une baisse drastique de ses moyens financiers. De nombreux titres ferment ou sont obligés de licencier. Le nombre de journalistes titulaires de la carte de presse n’augmente plus depuis 2002. Les journaux sont victimes (et responsables) d’une très grande défiance des citoyens. La télévision a pris une part prépondérante dans l’information dès les années 1980 et depuis 2000 elle est en train d’être dépassée par internet qui est le nouveau support au cœur de toutes les attentions. La production se fait désormais en flux tendus. Les usages du web ont amené une culture du « tout gratuit » où les journalistes qui produisent des contenus ne trouvent pas toujours un modèle économique viable pour se faire rémunérer. Des initiatives naissent comme MediaPart, Rue89, Agoravox ou anciennement Indymedia et les grands journaux accentuent toujours plus leur présence en ligne. En parallèle, la diffusion de l’information se fait de manière sociale dans une logique de réseaux (mails, réseaux sociaux de type Facebook ou Twitter) et de nouveaux acteurs sont apparus comme les blogueurs non journalistes.
-> C’est une véritable mutation d’un système à l’échelle mondiale dont personne ne connait l’issue.
Seule certitude, les discours récents sur l’avenir du journalisme s’accordent sur un arrêt presque total de l’industrie de la presse écrite (lire le livre synthèse de Bernard Poulet : « La Fin des journaux » ((«La Fin des journaux et l’avenir de l’information», par Bernard Poulet, Le Débat-Gallimard, 210 pages, 15,90 euros. )) dont une note de lecture est publiée sur Novövision, un blog sur le journalisme, à consulter). Ce déclin ne signifie pas pour autant la fin du journalisme et des journalistes, là est la nuance. Tandis que pour le journalisme on explore de nouvelles pratiques (webdocumentaires ((Mémoire sur le sujet : http://webdocu.com/?p=557)), enquêtes participatives ((Exemple chez Agoravox : http://www.agoravox.fr/enquetes-participatives/ ))), mise en contexte de données ((Exemple d’une infographie du New York Times : http://www.journalistiques.fr/post/2009/06/19/Le-New-York-Times-exploite-l-interactivite-comme-valeur-ajoutee-a-l-information))), les journalistes eux expérimentent d’autres modèles de production et de diffusion de l’information (financements par les lecteurs ((Projet spot.us : http://www.liberation.fr/medias/0101605732-il-faut-defendre-la-pratique-du-journalisme)), partenariats avec des institutions, lancements de sites web avec des équipes réduites ((Terra Eco, Street Reporter, La Télé Libre, etc))).
Et les photographes ?
Le redressement judiciaire fin juillet 2009 de l’historique agence Gamma a remis sur le devant de la scène la crise du photojournalisme dont les causes sont connues : baisse des commandes des magazines devenus plus consommateurs d’images que producteurs, difficultés à partir faire du reportage sur le long terme, concurrence des agences filaires (AFP, AP, Reuters) capable de couvrir le monde entier, possibilité pour chaque citoyen d’être témoin-reporter d’un évènement d’actualité et d’envoyer ses images aux journaux, concurrence des sujets « people » plus vendeurs, difficultés des photographes sur le terrain vis-à-vis de la censure des institutions, des armées, des entreprises ou encore réduction de la place accordée à la photographie d’information qui n’a plus qu’une fonction illustrative.
La fin de Gamma était donc prévisible et cette crise annoncée depuis longtemps par les professionnels ((Des témoignages : « Je me retrouve coincée entre les photographes et la direction », « Comment a t’on pu laisser mourir Gamma ? », « Les agences ont bouffé le marché ».)) comme l’emblématique directeur de Visa Pour l’Image, Jean-François Leroy qui fustige la presse qui « il y a 20 ans était dirigée par des journalistes. Aujourd’hui, ce sont des « banquiers » qui dirigent les journaux. Quant aux agences 100% photos – enfin certaines agences – elles sont tout bonnement en train de creuser la tombe de cette profession, en acceptant de signer des forfaits. Un news magazine français, a récemment signé des contrats avec deux agences, avec ce deal : « Tu prends ce que tu veux chez nous pour 3 000 euros par mois ». Comment la profession peut-elle survivre à cela ? » ((Extrait d’un entretiens avec Jean-François Leroy réalisé à l’occasion de Visa Pour l’Image 2009 et disponible en pdf ici : http://www.acamin.com/eaecffdcdb.ac))
En 2001 déjà, dans une remarquable chronique sous pseudonyme, le photoreporter Pierre Madrid parlait du photojournalisme qui « agonise ». C’était à l’heure où les trois grandes agences en A (Gamma, Sipa et Sygma) venaient d’être rachetées par des multinationales. Il dénonçait notamment « La France qui aime la photo, mais pas les photographes. Le gouvernement socialiste aime l’esprit d’entreprise, mais celui des entrepreneurs du monde des médias. Pas celui des photo-reporters célébrés, reconnus, dont les images font le tour du monde. Des photographes qui partent du jour au lendemain avec des « garanties » orales d’un journal pour quelques milliers de francs, et quelquefois sans sécurité sociale. » C’est bien là l’un des paradoxes du débat : Tout le monde déclare adorer le photojournalisme (voir l’hypocrisie des premiers signataires de l’Appel à sauver Gamma, eux-mêmes responsables de la situation) mais personne ne se soucie de la réalité économique et sociale des opérateurs indispensables du photojournalisme : les photojournalistes.
Agonisant ? Il est temps de tuer le père !
Depuis que j’ai commencé ce métier je ne cesse d’entendre le même discours négatif sur l’état du photoreportage. Les photographes, désabusés, ont souvent comme seul conseil à donner : « ne fais pas ce métier ! ». Depuis plus de 10 ans, pour sauver le photojournalisme, on en appelle à la démocratie, aux droits de l’homme, aux lecteurs. Cela n’a amené aucun réel changement, évolution ou (re)prise en main. Si déplorer l’état de notre métier se fait sur la base d’arguments légitimes, je suis convaincu que cette pensée dominante existe aussi parce qu’une grande partie des photographes n’ont pas fait le deuil d’un âge d’or, n’ont pas supporté de voir leur revenu diviser par 2, par 5 ou par 10 ((Décryptage des revenus d’un photographe par Eco89 : http://eco.rue89.com/2009/04/07/francois-xavier-photographe-cigale-au-rmi)), n’ont pas cherché à changer, à évoluer (« Nous avons passé les dix dernières années à attendre, commis l’erreur d’être passés à côté des évolutions et d’avoir ralenti l’adaptation de la France aux technologies au moment où le monde l’accélérait » ((Extrait de l’introduction de « Photojournalisme, à la croisée des chemins »))). On peut comparer cette situation à celle de « l’orchestre [du Titanic qui] continua de jouer jusqu’aux ultimes moments du naufrage, réfugié dans une sorte de déni de réalité, espérant secrètement un redressement de la situation pourtant scellée. Les premières classes refusèrent dans les premiers temps de considérer le naufrage, abusées par la taille et la réputation du navire, alors même que les classes des ponts inférieurs se noyaient sans pouvoir accéder aux issues de secours. » (( A lire sur http://www.gholubowicz.com/bulb/2009/10/sortir-du-cadre-photojournalisme-la-nouvelle-musique/))
Il faut « Tuer le père » affirme la jeune reporter Juliette Robert sur son blog. Accepter que la presse des années 70 n’existera plus et qu’il faille aller de l’avant pour insufler un nouvel esprit à notre métier. « Il est grand temps de rallumer les étoiles » et de participer à un réenchantement de la profession. Dans son introduction à « Photojournalisme, à la croisée des chemins », Wilfrid Estève appelle les photographes à réagir « [Nous devons] essayer de comprendre la façon dont le public “consomme” les médias et construit sa vision du monde. Combattre la montée de l’ignorance, de l’intolérance et la peur de l’autre. La peur tue l’esprit. Cette curiosité dans l’acte photographique est une passerelle essentielle en direction des autres cultures. Ne laissons pas le lecteur se faire happer par le sensationnel et l’auteur se changer en un œil voyeur. Les médias nous imposent leur réalité, les rédactions poussent à l’information spectacle. Nous avons tous une part de responsabilité dans ce traitement souvent superficiel. Il est temps de combattre cette uniformité de la pensée et de redevenir crédibles. Il est temps de renoncer à une certaine avidité et d’adopter une distance intérieure. »
Engagement
Cette introduction de Wilfrid Estève rappelle aussi la nécessité d’un engagement dans notre métier : » Les générations précédentes se sont inscrites dans une démarche journalistique autour du témoignage. Qu’en est-il aujourd’hui ? Il est inhabituel en France qu’un jeune photographe se revendique du photojournalisme, développe un angle pertinent et affirme un point de vue. Or, faire disparaître les traces de positions politiques du reportage revient à faire un contresens absolu sur sa nature même. C’est désincarner le rêve et la révolte. En entrant dans l’histoire, la photographie a perdu son désir de transformer le monde. » Activisme qui doit venir de la base : « La réappropriation de l’information par les journalistes, photographes et rédacteurs, est le pari de demain. La réussite économique est la seule vraie garante de notre indépendance. Elle est possible grâce au fonctionnement de la toile, basée sur le réseau, les notions d’échange et de partage […] nous devons tous adopter une philosophie de l’action. Nous ne devons plus nous accrocher à notre passé comme à un bouclier ; pointons-le au contraire comme le fer de lance de notre évolution. Notre profession se doit d’anticiper les changements plutôt que de les subir. »
Réfléchir au renouveau
Écrit il y a plus de 4 ans, ce texte participe à un renouveau de la profession qui doit cesser de se lamenter sur son sort. Des articles récents abondent dans ce sens : Alain Généstar, ancien de Paris Match lance son magazine, Polka et promet plein d’avenir au photojournalisme, un pigiste canadien propose gratuitement un excellent guide qui nous invite, ainsi que nos confrères rédacteurs, à appliquer « 12 étapes pour le rétablissement » , « Le Photojournalisme est mort, vive le photojournalisme » titre Slate.fr dans un article sur des initiatives récentes, un analyste des médias propose des hypothèses sur le futur du photojournalisme (en anglais), le photographe Gérald Holubowizc (que je cite beaucoup dans cet article) tient une rubrique « Sortir du Cadre » sur son blog qui ouvre le débat sur des perspectives possibles pour notre métier, et même Jean-François Leroy affirme que Visa Pour l’Image ne « sera pas le dernier refuge des dinosaures. Au contraire, nous allons montrer que la production de qualité existe toujours, même si elle est de plus en plus rare. Explorer de nouvelles pistes, définir de nouveaux standards. Parce que nous ne creuserons pas la tombe de cette profession. Nous ne rejoindrons pas le club des fossoyeurs de la presse. Nous continuerons à nous battre aux côtés de ceux qui veulent continuer à croire à un journalisme de qualité. C’est plus qu’un souhait. C’est un serment ! ». ((http://www.visapourlimage.com/blog/4035.do))
Il y a donc un avenir et les photojournalistes sont, en puissance, les mieux placés pour prendre un rôle moteur, pour s’en sortir au mieux. La presse est désormais court-circuitée, et c’est un futur multiple qui s’offre à nous. Certes il faudra faire preuve de bricolage mais dans l’Histoire les photojournalistes ont toujours su se donner les moyens de répondre à leurs aspirations. Il est plus que jamais nécessaire aujourd’hui de continuer ce mouvement, et c’est là une chance unique que nous avons de renouer des liens avec la société et le public.
Je suis convaincu de cela pour plusieurs raisons que j’ai regroupées en 3 points distincts, à découvrir cette semaine.
- 1 –Historiquement, les photojournalistes ont toujours été dans une position périphérique à celle de l’ensemble du corps des journalistes. Ils ont dû apprendre à vivre en dehors d’une rédaction, ce qui leur donne une autonomie et une indépendance relative. Ils ont aussi développé leurs propres outils de vente et diffusion.
- 2 –La spécificité du médium photographique fait que les photographes ont toujours dû avoir une signature et une maîtrise technique. Ils ont dû apprendre, pour se vendre, à développer une visibilité et un réseau, ce qui pourrait leur être bénéfique à notre époque d’une économie de service, de sous-traitance.
- 3 – Les photojournalistes ont depuis longtemps la possibilité de faire du corporate, de concourir à des prix, de répondre à des appels à projets ou d’établir des partenariats. Ces éléments permettent un financement de leurs productions personnelles. Les contenus produits trouvent des débouchés dans des utilisations multimédias où les photojournalistes sont en pointe, ils trouvent aussi leur place dans les festivals, dans les expositions, dans de nouvelles revues… Les opportunités de produire et diffuser son travail sont nombreuses et les photojournalistes doivent s’y engouffrer.
Enfin, je publierai un billet de conclusion sur les questions essentielles à résoudre dans cette nouvelle ère du photojournalisme. Cela concerne par exemple la question du statut social, celle de la reconnaissance professionnelle de notre métier sur le terrain ou les limites et les dangers d’une économie basée uniquement sur la pige et la notion de « personal branding ».
Ce billet était le premier– d’une série de 5 – sur l’avenir du photojournalisme. Voir aussi, « Historiquement, les photojournalistes se sont organisés en dehors des rédactions » (2/5), « Le photojournalisme, un travail d’auteur qui se valorise » et « En position de force face aux nouvelles écritures : du photojournaliste au journaliste visuel » (3/5), « Quels modèles pour financer et diffuser le photojournalisme ? » (4/5) et la conclusion « Des questions essentielles à résoudre pour cette nouvelle ère du photojournalisme » (5/5).
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