Ce billet est le second – d’une série de 5 – sur l’avenir du photojournalisme. Voir aussi, l’introduction (1/5), « Le photojournalisme, un travail d’auteur qui se valorise » et « En position de force face aux nouvelles écritures : du photojournaliste au journaliste visuel » (3/5) « Quels modèles pour financer et diffuser le photojournalisme ? » (4/5) et la conclusion « Des questions essentielles à résoudre pour cette nouvelle ère du photojournalisme » (5/5).
1 / Historiquement, les photojournalistes se sont organisés en dehors des rédactions
Plus de la moitié des photojournalistes sont pigistes
En 2007, 1277 des 37 738 journalistes titulaires de la carte de presse étaient des reporters-photographes. Sur ces 1277 photojournalistes, 518 n’étaient pas intégrés à une rédaction : ils sont pigistes, autrement appelés photographes indépendants. Cela représente près de 50% de pigistes photojournalistes alors que le pourcentage total de journalistes pigistes (textes, photos, radios ou vidéos) parmi l’ensemble des journalistes est seulement de 17% environ. ((Source : Observatoire des métiers de la presse)) Ces chiffres (qui plus est sous-estimés, car de nombreux photojournalistes indépendants n’ont pas la carte de presse) sont révélateurs d’une profession qui s’est toujours retrouvé externalisée aux journaux, une profession de sous-traitance. Les photojournalistes salariés eux se retrouvent en majorité dans les grandes agences ou dans la presse quotidienne et régionale. On a donc un grand nombre de photographes qui ont du, par choix ou par contrainte, s’organiser autrement pour vivre, produire leur information et diffuser leur travail.
De Magnum à Gamma : de grandes agences de photographes
Avant la seconde guerre mondiale, la plupart des photojournalistes sont salariés des journaux. Intégrés à une rédaction, leur statut d’auteur n’est pas reconnu en tant que tel et la plupart restent anonymes. Dès 1947, la création de l’agence coopérative Magnum par 4 photographes (Cartier Bresson, Capa, Seymour et Rodger) change la donne. Le crédo de Magnum est de donner une visibilité et une autonomie aux photographes : ils sont enfin reconnus en tant qu’auteurs. En quittant les journaux et en se regroupant entre eux, les photojournaliste peuvent affirmer leurs qualités individuelles dans un espace autre que la seule rédaction d’un journal.
Avec le même engagement se crée 20 ans plus tard l’agence Gamma par 5 photographes qui ont pour but de « ne plus être salariés, mais avoir la volonté de tout partager à égalité, les frais et les recettes des reportages qu’eux-mêmes décideraient de réaliser. » ((« L’agence Gamma racontée par ses images » sur La Vie.fr)) S’en suit la création de Sipa et Sygma et d’une multitudes d’autres agences de photographes restées moins célèbres (Dalmas, EuroPress, etc). C’est l’âge d’or du photojournalisme.
L’arrivée de la télévision et des agences filaires (AFP, Reuters, AP) sur le terrain de la photo conjuguée à la baisse des budgets des magazines dans les années 80 et 90 change durablement le modèle de ces agences de photographies. Elles implosent : la majorité ferment tandis que les plus célèbres sont rachetées ainsi que leur fond : Sipa par les laboratoires Fabre, Sygma par Corbis et Gamma par Hachette Filipacchi. Ces agences ne sont devenues que l’ombre d’elles mêmes et les photographes les désertent en nombre.
Magnum et ses photographes survivent à ces évolutions du fait de leurs prestiges mais aussi du fait qu’ils ont très tôt cherché ailleurs que dans la presse pour s’assurer les conditions de leurs existence. Ce modèle « à la Magnum » reste cependant fragile comme en témoigne la chute en septembre 2009 d’une autre agence historique d’auteurs, l’italienne Grazia Neri.
Les collectifs, une approche associative, politique et volontariste
A la fin de cet âge d’or, une deuxième phase de mobilisation des photographes arrive avec les collectifs.
En 1972, huit photographes ((Alain Dagbert, Claude Dityvon, Martine Franck, Hervé Gloaguen, François Hers, Richard Kalvar, Jean Lattes, Guy Le Querrec)), appartenant presque tous à la génération de Mai 1968, fondent Viva dans un état d’esprit communautaire. Viva se pose dès le départ comme une alternative aux industries que sont devenues Gamma ou Sipa et se veut fournisseur de « sujets autonomes et construits revendiquant un engagement social, moral ou politique à travers une démarche esthétique individuelle. » ((VIVA, Une agence photographique (1972 – 1982) sur Photographie.com)) Utopistes mais profondément militants, les photographes de Viva affirment une éthique: « La photographie est un de ces moyens important par lequel notre société perçoit les autres et se conçoit elle-même, dès lors notre responsabilité et notre vigilance sont engagées. Reporters photographes, nous souhaitons que notre travail soit un point de départ précis à une réflexion qu’il appartient à chacun de faire. » Ils sont conscients de la nécessité d’explorer de nouvelles formes de narration et de diffusion :
« Le support gouverne effectivement les images, il leur assigne des fonctions précises, d’illustration, d’information, de message commercial ou autre. Et c’est à la fois à la maîtrise et au renouvellement de ces fonctions que veulent parvenir les photographes de Viva […] Viva participe et s’inscrit dans un courant culturel qui, dans les années 1970 et 1980, va peu à peu conférer à la photographie la place qu’elle occupe aujourd’hui au sein des institutions et du marché […] création des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles, apparition de critiques régulières sur la photographie dans la presse, initiatives éditoriales diverses, ouverture de la galerie Agathe Gaillard à Paris, en 1975, de la Fondation nationale de la Photographie à Lyon, en 1978, et du Centre National de la Photographie en 1982… » ((VIVA, Une agence photographique (1972 – 1982) sur Photographie.com))
On peut aussi citer l’Agence VU, créée en 1986 par Christian Caujolle, qui se démarque très vite par des choix éditoriaux et esthétiques affirmés ouvrant des passerelles entre la photographie d’art et la photographie documentaire.
Tendance Floue, Œil Public et les autres
En 1982, l’aventure de Viva se termine, mais dès le début des années 90, ce sont les collectifs Tendance Floue et l’Œil Public qui se créent avec la même philosophie : structure légère (2 ou 3 permanents au maximum), fonctionnement coopératif, revendication d’une photographie d’auteur, exploration de nouvelles voies pour le photojournalisme. D’autres structures suivent comme Argos, Transit, Libre Arbitre, Item, MYOP, Riva-Press ou des petites agences d’auteurs comme Signatures, « maison de photographes », ou encore Noor et VII (ces deux dernières réunissant des grands photo-reporters).
Aujourd’hui on dénombre une soixantaine de collectifs en France et un grand nombre à l’étranger. Un étage leur est par exemple réservé chaque année à Visa pour l’Image.
Ce sont souvent des jeunes photographes à l’origine de ces regroupements. Ils répondent ainsi au besoin de s’associer et de s’entraider dans un marché de plus en plus difficile. Sans stigmatiser, on peut dire que les collectifs et les agences de photographes auteurs se sont construits en alternative aux agences classiques (Réa, AFP, Sipa, Gamma, Corbis, Getty, etc). Quand elles ne salarient pas leurs photographes, ces agences leur font signer des contrats peu favorables et récupèrent généralement entre 40 et 70% du montant de la vente d’une image. Par ailleurs, ces agences sont depuis longtemps passées entre les mains de financiers et il est difficile d’avoir un contrôle sur sa production.
Avec une structure associative ou coopérative, les photographes se réapproprient leurs choix éditoriaux, leur gestion. La structure créée leur appartient tout en offrant une plus grande visibilité.
Si la plupart des collectifs n’existent que dans le but d’une mutualisation de moyens (mise en place d’un portail de diffusion, imprimante commune, carnet d’adresses…), certains développent un véritable projet éditorial commun. C’est le cas de Tendance Floue avec des réalisations comme « Nationale Zéro ou « Made In France » ou le collectif Argos avec son travail sur les réfugiés climatiques. Ces collectifs travaillent alors en complémentarité avec d’autres professionnels de l’information comme des rédacteurs ou des journalistes radios. Les collectifs ne sont donc pas exclusivement des regroupements de photographes : ils deviennent des structures destinées à produire une information particulière ayant comme base la photographie.
Ils sont le signe d’un véritable dynamisme de la profession.
Utiliser internet pour vendre sa production
Réorganisés, les photo-reporters ont rapidement eu besoin de pouvoir répondre à la force de frappe des agences comme Getty et Corbis qui bénéficient d’un réseau de distribution et de vente très puissant. Aujourd’hui, le commerce de la photographie d’information se déroule en majorité sur internet via des sites de ventes ou des portails de diffusion. Hormis les sujets sur le long-cours ou les commandes, on se rend de moins en moins dans les rédactions.
Fedephoto.com ou Picturetank sont deux projets français qui répondent aux besoins de diffusion d’une production photojournalistique. Créé en 2004, FedePhoto regroupe aujourd’hui près de 90 photographes indépendants et fonctionne sur le principe d’une cotisation mensuelle de 150 euros. Les photographes diffusent leurs travaux sur un site portail où les clients peuvent acheter et télécharger directement les images. Qui plus est, le photographe bénéficie des avantages de l’association FedePhoto, à savoir « une base de données, un forum de discussion, un contrôle des téléchargements et des parutions, une newsletter hebdomadaire envoyée chaque semaine à plus de 300 acheteurs d’images et une présence dans différents évènements professionnels. » ((Présentation de l’Association FedePhoto))
Adoptant le même schéma mais se basant sur un statut coopératif et en ayant une réflexion éditoriale plus poussée, Picturetank, lancé en 2005, réunit plus de 100 photographes indépendants (dont une dizaine de collectifs associés). Cette coopérative bénéficie d’un lieu à Paris où plusieurs permanents se chargent notamment d’éditer les travaux des photographes membres, de leur transmettre d’éventuelles commandes, de monter des projets culturels…
Les collectifs et les nouvelles agences ont également pu, grâce à l’évolution des technologies, mettre en place des systèmes de vente de leurs archives directement depuis leur site. Très prisé par les photographes indépendants et par certains collectifs, Photo Shelter est l’exemple typique de ce genre d’outil qui permet, moyennant une cotisation, de bénéficier d’une base d’archives. On peut vendre ses photos n’importe où, n’importe quand et à n’importe qui.
PixPalace, le grand hypermarché
Fondé en 2003, le français PixPalace introduit un nouvel échelon dans la diffusion des photographies en se plaçant entre le cercle des producteurs (agences, collectifs, réseaux de diffusion de base) et le cercle des clients (presse, éditeurs, institutions, ONGs). En quelques années, PixPalace s’est imposé comme la plateforme incontournable pour les producteurs et les clients. La quasi-totalité des agences françaises y sont présentes et paient un abonnement à PixPalace pour pouvoir diffuser les images tandis que les clients paient eux pour accéder, via une plate-forme logicielle, à une grande part de la production des photojournalistes français.
En position hégémonique, PixPalace commence à conquérir le marché international. Bien que ce service soit nécessaire et utile (être sur PixPalace est la garantie pour beaucoup de photographes de toucher un très large panel de clients), il a l’effet pervers d’être un hypermarché de l’image. Lors d’une recherche, les images sont présentées sans aucune réflexion éditoriale, en vrac. Il y a un coté mal-bouffe de la photo où tout se côtoie.
Une alternative, Stella Images, en gestation depuis plusieurs mois devrait voir le jour début 2010. Similaire à PixPalace sur la forme (portail de diffusion et de vente international), Stella Images ne regroupera au départ que 5 structures d’auteurs : l’agence VU’, le collectif le bar Floréal, Signatures-Photographies, la coopérative Picturetank ainsi que le studio de production multimédia Hans Lucas. La présence d’une structure de production multimédia est l’une des spécificités de Stella Images qui souhaite « Mettre en avant la diffusion de grands reportages ainsi que la création multimédia, regrouper une photographie d’auteur tournée vers l’international, affirmer les identités et l’indépendance de chacun de ses membres. » ((http://www.stella-images.com/))
La vente de la photographie professionnelle sur internet a encore toutefois de nombreux progrès à faire en termes d’accessibilité et de référencement. Pour un acheteur lambda aujourd’hui, il est beaucoup plus facile de récupérer une image sur Flick ou d’en acheter pour 1000 fois rien sur un site de microstock comme Fotolia que de pouvoir accéder rapidement et aisément à la production d’un professionnel.
Reprendre la main, éditorialement et économiquement
En s’émancipant des journaux ou des grosses agences, les photographes ont pris des risques mais ont aussi su évoluer en fonction de leurs aspirations personnelles et professionnelles. Économiquement, ils ont pu compenser la baisse générale des budgets des clients par une diffusion accrue (notamment à l’étranger) et aussi par le fait qu’ils récupèrent la totalité montant de leurs ventes (parfois un pourcentage va à la structure associative ou coopérative). Ils ont pu gagner une autonomie qui est bénéfique face aux adaptations à faire dans l’avenir.
Ce billet était le second – d’une série de 5 – sur l’avenir du photojournalisme. Voir aussi, l’introduction (1/5), « Le photojournalisme, un travail d’auteur qui se valorise » et « En position de force face aux nouvelles écritures : du photojournaliste au journaliste visuel » (3/5), « Quels modèles pour financer et diffuser le photojournalisme ? » (4/5) et la conclusion « Des questions essentielles à résoudre pour cette nouvelle ère du photojournalisme » (5/5).
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