Le jeudi 29 janvier, alors que je partais en manif‘, je me suis fait interviewé à la sortie d’une sandwiche-rie par une journaliste du quotidien de la région : Le Dauphiné Libéré. La question était « Quelle solution privilégiez-vous pour déjeuner au centre-ville ?« . Mangeur et passionné de bonne gastronomie à mes heures, je me suis empressé de répondre à cette enquête exclusive.
Quelques jours plus tard, je découvrais mon récit en page 7 de l’édition chambérienne du Dauphiné Libéré datée du 4 février 2009. Une petite vignette photographique accompagnait mon propos. Je n’avais pas été le seul à être interviewé puisque figurait aussi l’avis de 3 autres personnes . D’autres articles, plus détaillés, complétaient la page consacrée à la question de comment se restaurer à midi quand on est pas chez soi.
Cette forme de journalisme porte le nom, sans équivoque, de micro-trottoir. Il s’agit ni plus ni moins que d’un mini sondage d’opinion au hasard ou presque sur des gens interrogés dans la rue. Très prisée par la télévision pour tout (ou rien), cette technique journalistique est, pour moi, le niveau zéro de l’information. Les questions ne font d’ailleurs peut être pas honneurs aux journaux, « Et vous, quel plat aimez-vous cuisiner ? » ou « Irez-vous voir le pape ? ». Exemples tirés de la Voix Express, la rubrique micro-trottoir du Parisien.
Si interroger des quidams, en faire un récit détaillé et circonstancié est une très bonne chose, la pratique des micro-trottoirs est à l’opposé de portraits complets qui font sens et qui apportent une plus value d’information. Ces quelques paroles de micro-trottoirs enregistrées à la va-vite par la télévision et la radio, et dans une moindre mesure par la presse écrite, font croire qu’on détient des vérités générales qui valent bien mieux qu’une bonne enquête. Lors de micro-trottoir, l’usage fréquent de questions fermées permet aussi d’influer fortement sur la représentation de l’opinion publique qu’une chaîne de télévision veut donner aux auditeurs. Par exemple, pendant des grèves à la SNCF ou à la RATP, les journalistes demandent « N’êtes vous pas pris en otage ? ». Chacun mesure qu’une question fermée et orientée induit très fortement sur le sens de la réponse.
Ces interviews rapides sont aussi un moyen pour les rédactions de pratiquer du journalisme à moindre frais. On a juste à sortir du journal et interroger les passants sur le trottoirs. On est en plein dans un journalisme de terrain assez paresseux et très loin du grand reportage. Dans le sens de cet article, je vous conseille la lecture de la tribune de l’historien Gilles Dal « Supprimons les micro-trottoirs !« .
Vous l’avez compris, je ne trouve aucun intérêt à ces micro-trottoirs hormis peut être leur rôle pratique comme dans l’interview du Dauphiné Libéré. Il s’agit ici de donner des bons plans. Ou d’une certaine manière de parler au journal comme on parlerait à un ami. On rentre là alors dans une autre fonction de cet exercice journalistique appliqué à la presse écrite : le rapprochement avec le lecteur. Le sentiment d’identification est, selon les théoriciens du journalisme, nécessaire à la vente du journal, à l’accroche. Ce n’est pas un hasard si mon propos est publié avec un sur-titre « L’avis des lecteurs ». Les rubriques « Vous », « Mieux Vivre », « Votre opinion » qui font usage de cette technique du micro-trottoir trouvent de plus en plus de place dans les journaux. Elles peuvent certes avoir leur utilité mais je suis critique sur leur généralisation à l’ensemble des titres de presse (notamment les quotidiens d’informations national) au détriment du travail d’enquête, de reportage et d’analyse.
Dans ce cadre là, il est intéressant aussi d’observer l’usage de la photographie. Elle amplifie encore d’avantage le sentiment d’identification puisque l’on donne à voir la personne interviewée. Avec sa petite tête en photo d’identité le lecteur peut se sentir proche ou loin d’elle. La personne interviewée est quelqu’un de réel, comme les autres.
A cet égard, la presse quotidienne régionale et locale (la PQR) n’est pas en reste sur l’utilisation de la photographie comme moyen de fidéliser le lecteur et lui donner l’impression d’être proche du journal et de faire partie de l’actualité.
Prenez n’importe quel journal de votre coin et observez les photographies présentes, surtout celles des pages locales, écrites par des correspondants. Vous aurez la surprise de constater la similitude exclusive entre les photographies : ce sont quasiment toutes des photos de groupes ou de personnes posant devant l’objectif du photographe local. C’est ce qu’on appelle populairement les rangs d’oignons. Une façon d’avoir une photo souvenir de chaque évènement.
La fonction de ces photos de groupe est avant tout de pouvoir vendre le journal. En effet, en se sachant pris en photo par le correspondant de presse du coin, la petite fille qui jouait au gala de danse ou le papi qui venait de grimper sur le sommet du Mont Vieux à 730 mètres d’altitude vont vouloir acheter le journal et se voir dedans. Et puis comme c’est un évènement, ils préviendront tous leurs proches qu’ils sont dans le journal et qu’il faut l’acheter pour les voir. Comme quand on passe à la télévision ; il y a un petit air du quart d’heure de célébrité d’Andy Warohl. Sauf qu’ici le but est uniquement de vendre et à l’échelle locale cela marche très bien. Un journaliste écrit me disait que dans certaines rédactions, les consignes sont d’avoir un minimum de 50 personnes en photos par page afin de rentabiliser le journal. Serrez vous et souriez !
Dans ces conditions on se demande bien comment un photographe professionnel pourrait faire du local alors qu’il suffit au correspondant de faire poser les personnes pour une petite photo de classe. Les quotidiens locaux sont néanmoins parmi les derniers à avoir des staffs conséquents de photographes qu’ils font travailler sur les sujets d’actualité.
Ces pratiques, répandues dans la presse, mettent à mal à mon avis le (photo)journalisme d’enquête et de reportage et ne rencontrent pas une approche critique de la part de nos concitoyens. Une meilleure éducation aux techniques de la presse et aux décryptage des images permettrait de pouvoir prendre le recul nécessaire sur ces usages. Même si j’espère leurs disparitions, le micro-trottoir ou le rang d’oignon montrent à quel point la photographie et l’image servent de lien social, de bien commun partagé et recherché. Cette photographie sociale ne peut que nous encourager à continuer la pratique de ce métier et à donner l’approche à nos lecteurs d’autres usages et lectures de nos images.
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